Anticosti, les études donnent raison à Philippe Couillard !
Par Alain Brunel, cofondateur et directeur climat énergie
Sur la question de l’exploitation des hydrocarbures d’Anticosti, le premier ministre Couillard a cent fois raison! Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les études de l’Évaluation environnementale stratégique déjà disponibles sur le site du Ministère de l’Énergie et des ressources naturelles.
Que disent ces études ?
- D’abord que l’eau des rivières sur Anticosti est d’une pureté exceptionnelle. Que le milieu marin est d’une richesse non moins exceptionnelle. On trouve autour de l’île des zones de reproduction et d’alimentation de nombre d’espèces dont flétans, plies, morues, crabes des neiges, crevettes, pétoncles, homards, poissons pélagiques, cétacés etc.
- L’essentiel des ressources fossiles d’Anticosti est constitué de gaz (75 à 80%). Le pétrole récupérable est estimé au mieux à 800 millions de barils (soit à peine 6 ans de consommation du Québec).
- Pour exploiter le gaz, il faudrait investir de 7 à 9,6 milliards de dollars américains dans des installations de transport, navire-usine de liquéfaction du gazou, gazoduc vers le continent.
- Pour récupérer les gaz et liquides dans le sous-sol, il faudrait fracturer une roche karstique très perméable et friable, pleine de cavités et de failles souterraines, donc qui serait facilement fragilisée par la fracturation hydraulique.
- Que seulement deux bassins versants sur les 49 de l’île disposent d’assez d’eau pour fournir aux besoins de la fracturation hydraulique.
- Ces bassins sont ceux des rivières aux Saumons et Jupiter, les deux plus importants de l’île, qui abritent 40% de la métapopulation de saumons d’Anticosti, une espèce déclarée en voie disparition en 2010 par le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada. Ces bassins chevauchent le Parc national d’Anticosti et le territoire de la Sépaq.
- Qu’il faudrait donc dessaler l’eau de mer pour fournir aux besoins de l’industrie.
- Que la hausse des gaz à effet de serre (GES) consécutive à l’exploitation industrielle du gaz sur Anticosti entraînerait une augmentation des GES au Québec entre 1% à 15% des émissions prévues en 2020,selon l’échéancier de mise en place de dispositifs de récupération du gaz.Cette estimation ne tient pas compte des émissions liées à la préparation des sites, au stockage et au transport des hydrocarbures, ni des fuites inévitables de gaz après fermeture des puits. Le gaz qui reste en place,85% du volume total,continuant à migrer indéfiniment dans le sous-sol fracturé. Notez que le potentiel de réchauffement planétaire du méthane utilisé dans l’étude évaluant les GES est caduc. Les émissions liées au gaz sont donc ici clairement sous-estimées.
- L’étude du ministère des Finances estime qu’une rentabilité de 10% pourrait néanmoins être au rendez-vous,à condition que pendant toute la durée d’exploitation le prix du baril de pétrole atteigne au moins 81$US,que le gaz soit vendu au moins à 3,18$US le millier de pieds cube en cas d’usage d’un gazoduc vers le continent ou 3,62$US/kpi3avec l’option d’un navire-usine de GNL. Le scénario suppose l’exploitation d’un total de 4 155 puits sur 33% du territoire couvert par des permis pendant 75 ans…Cette analyse est basée sur plusieurs hypothèses discutables : une tonne carbone à 20$ en 2020 indexée de 5% par an plus inflation; un taux de récupération du pétrole qu’on reconnaît optimiste (3,5%); une indexation annuelle de 0% pour les coûts de forage et de 0,5% pour les coûts de production, uneinflation limitée à 2% par an de 2020 à 2045 et de 0% à partir de 2045…Le coût des atteintes à l’environnement n’est pas comptabilisé.
Le premier ministre hésite à autoriser les trois forages avec fracturation hydraulique prévus l’été prochain. Il y a de quoi. Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection stipule qu’une opération de fracturation ne peut avoir lieu à moins de 400m de la base d’un aquifère. Mais selon le géologue Marc Durand, cette distance est insuffisante et ne respecte pas les normes de sécurité que l’industrie américaine elle-même recommande (de 1 000m à 1600m). Les études indiquent en effet que les fracturations peuvent s’étendre verticalement sur plus de 500m et frayer ainsi le chemin des contaminants vers les aquifères.Or le respect de la norme de 1000m empêcherait de fracturer sur la quasi-totalité d’Anticosti.Tout se passe comme si le règlement québécois avait été conçu pour pouvoir fracturer Anticosti.
On attend toujours l’étude finale avantage-coûts sur Anticosti qui doit soupeser l’ensemble des 27 différentes études. Mais il est clair, pour qui examine lucidement les faits, que le jeu brûlerait la chandelle par les deux bouts. L’exploitation du gaz et du pétrole d’Anticosti nécessiterait des investissements énormes pour des revenus incertains et comporterait des coûts écologiques importants. Elle affecteraitdes milieux, terrestre et marin, d’une pureté et d’une biodiversité exceptionnelle. Elle entraînerait la contamination certaine de l’eau douce des aquifères.Elle menacerait la survie du Saumon d’Anticosti. Elle générerait une augmentation des gaz à effet de serre du Québec et l’engagerait sur la voie d’un développement des énergies fossiles durant tout le XXIe siècle alors que les scientifiques alertent sur la nécessité d’en sortir au plus vite, ce que l’Accord de Paris a acté.
Vaut-il mieux respecter sa signature et continuer à accélérer jusqu’à se fracasser contre un mur ou la remettre en cause et freiner avant l’inévitable crash? À l’évidence, Philippe Couillard choisit ici la voie de la raison. Chapeau. Mais plus de cohérence sur le sujet serait bienvenue. À Gaspé, il ne s’agit peut-être pas de fracturation mais Pétrolia travaille à 350m des premières maisons... On ne peut prétendre élever la nation en sacrifiant eau et patrimoine naturel, même pour quelques dollars de plus...