Climat : le Canada de Justin Trudeau ne fait pas sa juste part
Lettre ouverte
18 DÉCEMBRE 2016
Le 9 décembre dernier, le gouvernement fédéral et 11 provinces et territoires ont signé un cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Ce cadre a pour objectif de permettre au Canada d’atteindre sa cible de réduction de ses émissions de GES à l’aide de différentes mesures qui seront mises en place dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne.
S’il est une bonne chose que le Canada commence enfin à s'occuper de lutte aux changements climatiques, l’urgence de la situation ordonne un niveau d’ambition beaucoup plus élevé que ce qui nous est présenté ici. Malheureusement, les beaux discours du nouveau premier ministre ne changent rien à la réalité : le Canada demeure un des cancres du climat parmi les pays industrialisés.
Dès le départ, en choisissant de garder la cible de réduction de GES de 30% en dessous du niveau de 2005 d’ici 2030 – cible mise en place sous Stephen Harper –, le gouvernement Trudeau a échoué le test du leadership climatique qu’il revendique pourtant depuis son élection. A-t-on besoin de rappeler que cette cible a été déterminée quelques mois avant les dernières élections fédérales, par un gouvernement conservateur ouvertement climatosceptique? Par ailleurs, cette cible ne repose sur aucune donnée scientifique et a même été qualifiée à l’époque de fort insuffisante par des membres de l’équipe de M. Trudeau, alors dans l’opposition.
Chose certaine, elle ne permettra pas au Canada de respecter l’engagement qu’il a pris à Paris de travailler pour maintenir la hausse des températures du globe à 2 degrés Celsius d’ici 2100. Elle ne nous permettra encore moins de contenir le réchauffement à 1,5 degré, promesse pourtant faite aux pays les plus vulnérables par les pays comme le Canada lors de la Conférence de Paris.
Ensuite, au-delà du choix de la cible, force est d’admettre que les plus récentes actions du gouvernement Trudeau ont davantage servi l’industrie des hydrocarbures que la lutte aux changements climatiques. De fait, une semaine avant de nous présenter son plan climat, Justin Trudeau s’est fait le champion de l’expansion des sables bitumineux en approuvant deux projets majeurs de pipelines : l’oléoduc TransMountain de Kinder Morgan et la ligne 3 d’Enbridge. À eux seuls, ces deux projets impliquent une augmentation de nos GES de 205 Mt par année. Un mois auparavant, il avait également donné son aval à un projet de terminal de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique, qui va engendrer une hausse de 1% des GES canadien.
À titre comparatif, le plan qui nous a été présenté la semaine dernière devrait permettre au Canada de baisser ses émissions de 86Mt par an. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Affirmer comme le fait le premier ministre qu’on peut à la fois faire la transition énergétique et continuer à développer nos énergies fossiles ne tient pas la route. Il n’y a pas de recette miracle : la seule véritable façon d’abaisser de manière significative nos émissions de GES est de garder les énergies fossiles dans le sol, ce que le gouvernement canadien refuse de faire.
Un autre élément discutable de ce cadre pancanadien, est la grande iniquité entre provinces et secteurs économiques qu’il implique. Puisque le gouvernement autorise le secteur pétrolier à croître, la réduction des émissions de GES qu’il propose – même insuffisante – demandera un effort important à des provinces et des secteurs économiques qui ont déjà réalisé des réductions appréciables de leurs émissions ou se sont, eux, dotés de plan ambitieux. Alors que le secteur des hydrocarbures et les provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan se voient «récompensées» pour leur pollution avec de nouveaux pipelines, les provinces comme l’Ontario et le Québec – ainsi que plusieurs de leurs industries – devront compenser pour la croissance des émissions du secteur pétrolier.
À terme, cette situation va au mieux nous faire rater notre maigre cible pour 2030, au pire, faire imploser le plan climatique canadien et rendre encore plus difficile tout effort coordonné de réduction nationale des GES. Déjà, il y a un profond désaccord entre les provinces au sujet de la tarification carbone, pourtant extrêmement basse. Les provinces déchirent leur chemise autour du prix de 10$ la tonne en 2018, qui augmentera par la suite pour atteindre 50$ en 2022. Or, on sait que pour être efficace, une taxe sur le carbone devrait se situer plutôt autour de 150$ la tonne. On en est donc très loin. Ces désaccords affichés, ajoutés au chantage que certaines provinces ont fait autour des transferts en santé ainsi que l’évocation par la Saskatchewan des impacts bénéfiques de l’élection de Trump pour le marché pétrolier canadien nous laisse craindre le pire quant à la mise en œuvre réelle du plan climat fédéral. Afin de satisfaire tout le monde, Justin Trudeau choisira-t-il d’obtenir un consensus basé sur le plus petit dénominateur commun?
Justin Trudeau part de très loin. Il doit nous prouver qu’il peut être le leader climatique qu’il clame être. Et pour ce faire, un vrai plan climatique fédéral doit d’entrée de jeu afficher le courage de ses ambitions en posant des gestes concrets et forts.
Les bases d’un vrai plan climat doivent obligatoirement s’appuyer sur la science et sur les valeurs fortes de justice climatique, de respect des droits des Premières nations et plus généralement de respect des droits humains.
Un vrai plan climat doit instaurer un moratoire sur toute nouvelle infrastructure permettant l’expansion du secteur pétrolier et gazier, ce qui veut dire : aucun nouveau pipeline et aucun nouveau terminal de gaz naturel liquéfié. Le gouvernement doit aussi avoir le courage d’arrêter immédiatement toute subvention aux énergies fossiles afin de transférer ses investissements pour atteindre un objectif de 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050. Enfin, tout véritable plan climatique doit gérer le désengagement dans les énergies fossiles, notamment en favorisant une transition juste. Cela signifie accompagner les travailleurs du secteur pétrolier et gazier vers une reconversion dans d’autres secteurs économiques favorisant la transition énergétique.
Sans ces prémisses, les organisations signataires de cette lettre considèrent que Justin Trudeau ne peut se qualifier de leader de la lutte au changement climatique, puisque la politique climatique du Canada reste essentiellement la même que sous les conservateurs : priorité aux hydrocarbures! Or, au vu de la noirceur dans laquelle sont en train de s’enfoncer nos voisins du sud, le Canada, doit non seulement faire sa juste part pour que le réchauffement de la planète ne dépasse pas 1,5 à 2 degrés Celsius d’ici 2100, conformément à l’Accord de Paris, mais aussi montrer l’exemple et assumer un véritable leadership nord-américain en mettant tout en œuvre pour atteindre et même dépasser ses propres objectifs.
19 organisations sont signataires de cette lettre ouverte :
- Alerte Pétrole Rive-Sud
- Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA)
- Citoyens au Courant Vaudreuil-Soulanges
- Coalition Vigilance Oléoducs
- Conseil Central du Montréal Métropolitain-CSN
- Conseil des Canadiens, section de Montréal
- CVH Lavaltrie
- Eau Secours! Coalition pour une gestion responsable de l’eau
- Nature Québec
- NON à une marée noire dans le Saint-Laurent
- Prospérité Sans Pétrole
- Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
- Regroupement citoyen contre les bitumineux et pour le développement durable
- STOP oléoduc Capitale Nationale
- STOP oléoduc Portneuf–Saint-Augustin
- STOP oléoduc Kamouraska
- STOP oléoduc Montmagny-L’Islet
- STOP oléoduc Île d’Orléans
- STOP oléoduc Outaouais
- Conseil régional FTQ Montréal métropolitain