Compteurs intelligents : réplique AQLPA à la confiance aveugle de 60 universitaires
La lettre publiée le 24 mai 2012 dans Le Devoir par 60 universitaires soutenant l’innocuité des compteurs intelligents wifi proposés par Hydro-Québec ne correspond pas à l’état des recherches scientifiques sur les effets biologiques non thermiques des émissions de radiofréquences. Son contenu est contredit par les appels au principe de précaution émis par de nombreuses autorités publiques dans le monde, dont l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) soutient fermement qu’il arrive des moments où la logique de la prudence doit précéder et accompagner l’acquisition de la connaissance scientifique.
Les propos de ces 60 universitaires partent du postulat selon lequel « en biophysique, il n’existe[rait] aucun mécanisme établi par lequel une onde radiofréquence pourrait induire un effet néfaste sur les tissus humains autrement que par chauffage (effets thermiques). De plus, contrairement aux rayonnements ionisants (rayons X, UV, gamma), il n’existe aucune indication que le rayonnement radiofréquence entraîne des dommages chimiques ou physiques qui soient «bioaccumulables». Comme Santé Canada et d’autres organismes établissent qu’il n y aurait aucun effet thermique en-deçà d’une exposition moyenne de 6 000 000 μW/m2, ces auteurs en déduisent que les compteurs intelligents d’Hydro-Québec, dont les émissions « moyennées » sont considérablement inférieures, seraient sans risque. Or aucune étude n’existe encore sur les effets thermiques et non-thermiques des compteurs sans fil sur la santé.
La science ne parvient toujours pas à expliquer comment des rayonnements non ionisants peuvent provoquer des effets biologiques en-deçà du seuil des effets thermiques. Depuis plusieurs années, des études épidémiologiques montrent une corrélation entre une exposition aux radiofréquences à des seuils inférieurs (jusqu’à 100 μW/m2) et l’occurrence de divers effets biologiques (leucémie, tumeurs au cerveau, pertes neurologiques, etc.). Or, les mécanismes expliquant ces corrélations ne sont pas clairement compris. De plus, les variables en jeu sont nombreuses et complexes, les tentatives de reproduction de ces recherches ne fournissent donc pas toujours les mêmes résultats. Tous s’entendent toutefois sur le fait que la recherche doit se poursuivre afin d’élucider les mécanismes non-thermiques en cours et l’influence des variables en cause (fréquence, caractère pulsé ou non, durée d’exposition, etc.).
La recherche scientifique consiste actuellement en une accumulation d’études, dont certaines établissent des corrélations entre l’exposition aux champs électromagnétiques et des effets biologiques, alors que d’autres n’établissent aucun effet ou un effet différent. Devant ces d’études, un débat scientifique est en cours depuis plusieurs années. Il oppose d’un côté ceux qui soutiennent que les effets biologiques non thermiques des RF ne sont pas démontrés, vu la non reproductibilité des études, ce qui justifie à leurs yeux la prise de risque et le rejet pur et simple d’un questionnement plus poussé. De l’autre côté se trouvent ceux qui estiment que les études qui démontrent un tel effet sont suffisantes pour appeler à la prudence car un risque est possible.
C’est à cette prudence qu’appelle le Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, qui a classé en 2011 les radiofréquences comme possiblement cancérigènes. C’est à cette prudence qu’appelle Santé Canada qui recommande de réduire l’exposition aux téléphones cellulaires, même si cette exposition reste très inférieure aux normes établies. C’est cette prudence que des organismes de santé publique à travers le monde recommandent, même s’il n’existe toujours pas de certitude hors de tout doute quant aux effets non-thermiques des RF. Enfin, c’est cette prudence que préconise le Dr. David O. Carpenter de l’Université d’Albany (E.-U.), venu témoigner pendant deux jours auprès de la Régie de l’énergie ce mois-ci.
Contrairement à ce qu’affirme l’ingénieur (et non le médecin ou biologiste) et porte-parole des 60 universitaires, M. Thomas Gervais, notre discours n’est pas alarmiste, il est prudent. Nous ne préconisons pas le maintien des anciens compteurs. Nous sommes favorables au déploiement de compteurs intelligents (en raison des avantages environnementaux qu’ils pourront procurer, notamment en réduisant les déplacements) en autant que des mesures de précaution simples et peu coûteuses soient mises en place afin de réduire ou d’éliminer l’exposition involontaire aux RF : a) déplacer à l’extérieur les antennes des compteurs se trouvant à proximité des occupants tels que ceux se trouvant à l’intérieur des domiciles ou sur des terrasses, b) utiliser au besoin la technologie AVEC fil ou fibre optique dans de tels cas, c) prêter une attention particulière aux lieux où se trouvent des personnes vulnérables tels que garderies, centres de soins et aux lieux où les gens se trouvent pendant de longues périodes (chambres à coucher), d) réduire à 6 fois par jour ou moins le nombre d’émissions de radiofréquences par compteur, au lieu des 1440-2880 fois par jour actuelles, grâce à la mise en veille du compteur.
Les 60 universitaires auteurs de l’article seraient plus utiles au débat s’ils appuyaient ces simples mesures de prudence élémentaires, compte tenu de l’incertitude scientifique qui continue d’exister, plutôt que de les ignorer ou de s’y opposer aveuglément.
André Bélisle, président AQLPA
Brigitte Blais, analyste pour l’AQLPA à la Régie de l’énergie
LIENS ;
Compteurs intelligents: les craintes pour la santé sont injustifiées, selon 60 scientifiques - Article de Pauline Gravel dans Le Devoir (24 mai 2012)
Réplique (partielle) de l'AQLPA publiée dans Le Devoir (31 mai 2012)