Des traces de méthane trouvées dans des puits d'eau à Gaspé
On apprenait la semaine dernière que des traces de méthane ont été trouvées dans des puits d'eau potable du quartier Sandy Beach à Gaspé[1]. C’est lors de l’assemblée du conseil municipal du 3 mars que le maire de Gaspé a transmis à la population l’information reçue du Ministère de la Sécurité publique. À ce moment, le nombre exact de puits touchés, la quantité et la provenance du méthane n’étaient pas connus du public, mais depuis plus de détails ont été rendus publics dans un communiqué émis le 10 mars par le Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP).
Du méthane dans l’eau
Doit-on s’étonner de cette trouvaille ? Non. D’abord notons que sans information complémentaire sur la provenance du méthane trouvé dans l’eau à Gaspé, on ne peut conclure à un lien de causalité directe entre les opérations de fracturation effectuées au puits de Haldimand à Gaspé et la présence de méthane dans l’eau. Nous devrions en savoir plus au courant du printemps, quand le rapport final de l’étude hydrogéologique sera complété. D’ici là, dans son communiqué, le MDDEFP se fait rassurant en précisant :
Selon les résultats préliminaires de l’étude, deux puits ont enregistré des concentrations de méthane de 9,8 mg/L et de 11 mg/L. Ces concentrations sont légèrement supérieures au seuil de 7 mg/L, à partir duquel on recommande certaines mesures préventives. Le Ministère tient à souligner que les concentrations de méthane dans l'eau souterraine ne deviennent critiques qu'à partir de 28 mg/L. De plus, le méthane dissous n'est pas toxique pour la santé humaine. C'est la nature inflammable du méthane qui peut poser des risques à fortes concentrations. Ainsi, les valeurs mesurées dans l'eau de ces deux puits étant bien inférieures au seuil critique, la situation ne peut être considérée comme alarmante. (MDDEFP, 10 mars 2014)[2].
Toutefois, et malgré les propos rassurants du ministère, ce dossier est à suivre de très près car il révèle une tendance qui semble vouloir se dessiner. D’abord ce nouveau cas de contamination n’est pas sans rappeler le fait qu’en avril 2013 on apprenait, grâce au travail du regroupement Ensemble pour l'avenir durable du Grand Gaspé, que selon un rapport d'inspection du ministère de l'Environnement, du gaz s'échappait déjà de deux puits d'observation situés près de celui de Pétrolia, Haldimand no 1, à Gaspé[3].
Ensuite, rappelons également que des inspections réalisées à la demande de l’AQLPA à la fin 2010 par le ministère des Ressources naturelles avaient aussi permis de constater que 19 des 31 puits inspectés dans les régions de Bécancour, Lotbinière et St-Hyacinthe présentaient des fuites[4], soit 61,3% des puits. Lors de ces analyses, seulement huit puits sur les 31 étaient alors conformes à la réglementation en vigueur, ce qui représente un taux de conformité de 26% seulement. Dans ce dossier des puits fuyants au Québec, trop de questions restent encore sans réponse : Où en est-on aujourd’hui ? Et qu’en est-il des 600 autres forages qui pourraient eux aussi s'avérer problématiques et pour lesquels on attend toujours le rapport d’inspection ?
À la lumière de ces données récentes, une chose est de plus en plus claire, les fuites et cas de contamination semblent être la norme, pas l’exception. D’ailleurs, en juin 2013, une enquête menée par le biologiste Robert Jackson de l’Université Duke aux Etats-Unis et ses collègues de différentes universités faisait état des degrés de contaminations au méthane, et autres gaz «errants», liées aux forages dans le nord-est de la Pennsylvanie. Intitulée, Increased stray gas abundance in a subset of drinking water wells near Marcellus shale gas extraction[5], cette enquête a mis en lumière des concentrations en méthane dans 82% des 141 échantillons prélevés autour des puits de gaz non conventionnel. Les échantillons analysés contenaient aussi des traces d’éthane et de propane. Leurs analyses ont montré que les sources d’eau potable qui se trouvaient à une distance d’un kilomètre ou moins des puits étaient celles qui avaient les concentrations les plus élevées de méthane: jusqu’à six fois plus de méthane que les sources d’eau situées plus loin des puits. À moins d’un kilomètre de distance, les échantillons contenaient également 23 fois plus d’éthane.
We analyzed 141 drinking water wells across the Appalachian Plateaus physiographic province of northeastern Pennsylvania, examining natural gas concentrations and isotopic signatures with proximity to shale gas wells. Methane was detected in 82% of drinking water samples, with average concentrations six times higher for homes <1 km from natural gas wells (P = 0.0006). Ethane was 23 times higher in homes <1 km from gas wells (P =0.0013); propane was detected in 10 water wells, all within approximately 1 km distance (P = 0.01). Of three factors previously proposed to influence gas concentrations in shallow groundwater (distances to gas wells, valley bottoms, and the Appalachian Structural Front, a proxy for tectonic deformation), distance to gas wells was highly significant for methane concentrations (P = 0.007; multiple regression), whereas distances to valley bottoms and the Appalachian Structural Front were not significant (P = 0.27 and P = 0.11, respectively). Distance to gas wells was also the most significant factor for Pearson and Spearman correlation analyses (P < 0.01). (Robert Jackson et al., 2013)[6]
Ces informations ne sont pas à prendre à la légère, la contamination au méthane dans l’eau de Gaspé et d’ailleurs devra être étudiée plus à fond et sur des échelles de temps beaucoup plus longues. D’autre part, en plus de considérer les cas de contaminations de l’eau au méthane, il faudra impérativement obtenir plus d’information sur les autres produits trouvés lors d’analyses futures, et considérer également l’exposition aux contaminants présents dans l’air à proximité des sites de forages.
Impact du méthane sur la santé
Le méthane (CH4) est un gaz inodore, incolore et inflammable qui est l'hydrocarbure le plus simple et le principal composant du gaz naturel[7]. Au Canada, cette substance n'est pas classée comme étant toxique, mais elle reste contrôlée en vertu de l'annexe 1 de la LCPE (1999)[8]. Son impact sur le climat est bien connu, c’est l’un des gaz qui participent le plus aux changements climatiques.
Malgré les propos rassurants du ministère sur les impacts sanitaires potentiels du méthane présent dans l’eau à Gaspé, il est utile de rappeler certains faits au sujet de ce gaz. Parmi lesquels ceux tirés du dernier rapport de l’Institut national de santé publique du Québec[9] (INSPQ) à ce sujet :
- Le méthane est le principal contaminant retrouvé dans les eaux souterraines situées à proximité des sites d’exploitation du gaz de schiste.
- La fracturation hydraulique utilise plusieurs substances chimiques pour extraire le méthane des formations rocheuses dans lesquelles il est emprisonné. Le rapport de 2010 indiquait que certaines de ces substances possèdent un potentiel toxique ou cancérigène reconnu (Brisson et al., 2010). La consommation d’une eau potable contaminée par certaines de ces substances ainsi que le méthane lui-même représentait un risque pour les populations utilisant une telle eau (Brisson et al., 2010).
- Des explosions sont survenues aux États-Unis dans des résidences mal ventilées dans lesquelles le méthane provenant de l’eau potable s’était accumulé. Des cas documentés en Ohio et au Texas sont cités en exemple dans le rapport publié en 2010 (Brisson et al., 2010).
- Aux États-Unis, une concentration de méthane dissous dans l’eau, supérieur à 10 mg CH4/L est considérée comme le seuil d’alarme d’un risque d’une explosion dans un milieu fermé. Au-delà de 28 mg CH4/l d’eau, une intervention immédiate est exigée pour prévenir une accumulation qui pourrait entraîner une explosion.
À l’heure où le Québec s’apprête à autoriser la fracturation pour l’exploration et l’exploitation du pétrole de schiste et possiblement à lever son moratoire complet sur le gaz de schiste pour en réduire la portée comme le proposait le projet de loi 37[10] mort au feuilleton pour cause d’élections, il est impensable qu’on fasse si peu de cas de telles données. Cela souligne aussi l’urgence pour les députés de reprendre l'exercice entamé en commission parlementaire sur ce projet de loi dès qu'un nouveau gouvernement sera élu afin d'éviter la propagation des cas de contamination au Québec.
Source : Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)
RÉFÉRENCES
[1] Le Pharillon, Eau potable à Gaspé : Du méthane dans des puits, mars 2014
[2] MDDEFP – communiqué, MÉTHANE DANS L’EAU DE PUITS : LE MINISTÈRE RASSURE LES CITOYENS DE GASPÉ, 10 mars 2014
[3] Radio-Canada, Fuite de gaz sur le site du puits Haldimand no1, avril 2013
[4] Radio-Canada, La majorité des puits inspectés ont des fuites, 5 janvier 2011
[5] Robert Jackson and al. Increased stray gas abundance in a subset of drinking water wells near Marcellus shale gas extraction, juin 2013
[6] Idem
[7] Environnement Canada, Le Méthane, 2013
[8] Idem
[9] Institut national de santé publique du Québec, État des connaissances sur la relation entre les activités liées au gaz de schiste et la santé publique, MISE À JOUR Septembre 2013
[10] Assemblée nationale du Québec 2013, Projet de loi n°37 : Loi interdisant certaines activités destinées à rechercher ou à exploiter du gaz naturel dans le schiste