L’autre dimension de l’Accord de Paris
Article paru dans l'édition du 14 décembre 2015 du Devoir
Dans leur allocution des dernières heures de la conférence climatique de Paris, le président de la conférence, Laurent Fabius, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, et le président français, François Hollande, ont tour à tour parlé de « notre responsabilité face à l’histoire », d’un « accord pour une meilleure planète » et d’un « acte majeur pour l’humanité ». Ces discours solennels sont-ils exagérés ?
Sous plusieurs aspects, l’Accord de Paris constitue un tour de force. Il durcit l’objectif à long terme visé par les précédentes décisions de la Conférence des parties en réaffirmant la nécessité de contenir le réchauffement de la température mondiale moyenne « bien en deçà » des 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle, et de s’efforcer de limiter ce réchauffement à 1,5 °C.
Pour apprécier le niveau d’ambition de cet objectif, rappelons que l’Organisation météorologique mondiale s’attend à ce que la moyenne de l’année 2015 soit déjà 1 degré plus élevée que la moyenne 1850-1900. La marge est mince, sachant qu’il faudra fortement réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 afin d’éviter qu’un deuxième degré s’ajoute à cette augmentation. Respecter le seuil du 1,5 °C signifie essentiellement l’arrêt de la consommation des énergies fossiles le plus rapidement possible d’ici la moitié du siècle.
Au-delà des objectifs quantitatifs
Parmi les nombreuses dispositions de l’Accord de Paris, ce sont ces aspects quantitatifs qui marquent le plus l’imaginaire. Or ces objectifs ne sauraient être atteints sans un effort mondial appuyé par un véritable cadre institutionnel chevauchant les niveaux local, national et international de la gouvernance climatique.
C’est peut-être à cet égard que l’Accord de Paris est le plus significatif : à la suite des précédentes tentatives plus ou moins concluantes, comme le protocole de Kyoto, l’accord met en place une architecture institutionnelle qui déterminera largement le modèle économique, le rôle de l’État et même la qualité de vie à l’avenir. Les institutions, rappelons-le, sont productrices de normes et de règles et jouent un rôle crucial dans la régulation des pratiques sociales, économiques, politiques. L’Accord de Paris trace la voie à cette nouvelle architecture institutionnelle de plusieurs manières.
Le meilleur exemple est sans doute les « contributions nationalement déterminées » (CND) que chaque État devra produire tous les cinq ans. Les méthodologies retenues pour calculer les émissions, pour les déclarer et les comparer seront élaborées par les experts du GIEC, l’instance scientifique reconnue en la matière. Ces engagements concerneront bien sûr la cible de réduction des émissions nationales (dont l’ambition devra augmenter à chaque période d’engagement), mais aussi les stratégies pour atteindre les cibles, les initiatives d’adaptation au changement climatique et l’appui financier aux efforts des pays en développement.
Dans le paysage pour longtemps
Ces CND feront partie du paysage politique pour longtemps. Elles forceront les États à réfléchir à leurs politiques publiques en matière d’énergie, de transport, d’agriculture, d’aménagement du territoire, etc. Elles seront aussi harmonisées au niveau international, mais différenciées, c’est-à-dire que les pays en développement pourront élaborer leurs engagements en fonction de leurs « capacités respectives » et des « situations nationales ». Cela n’est pas anodin : il y avait longtemps que les pays développés tentaient d’enrôler les pays en développement — surtout les plus industrialisés — dans l’effort global de réduction des émissions. Voilà en quoi l’Accord est « universel ».
Les mécanismes institutionnels liés au financement des efforts des pays en développement par les pays développés sont nombreux dans l’accord. Leur financement devrait atteindre 100 milliards USD par année à partir de 2020 et être augmenté par la suite. Les initiatives d’adaptation aux changements climatiques, de transfert de technologies, de renforcement des « capacités » recevront l’appui du financement climatique qui sera notamment canalisé par le Fonds climatique vert mis sur pied à la COP16 de Cancún.
Autre piste intéressante du point de vue institutionnel : l’Accord appelle la création d’une « chambre de compensation » pour le transfert de risque qui sera opérationnalisée dans les prochaines conférences. Le transfert de risque dont il est question ici s’apparente à un dispositif assurantiel pour couvrir les dégâts liés aux changements climatiques, un enjeu que les pays insulaires ont réussi à imposer à l’agenda des négociations.
Les marchés du carbone déjà constitués dans le monde trouvent aussi une certaine résonance dans le texte de l’Accord, alors que de nouvelles dispositions sont prévues pour leur mise en place.
Moment historique
Osons une analogie. À la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, les nations victorieuses ont négocié un plan de relance de l’économie mondiale qui a, à terme, donné lieu aux institutions politiques et économiques internationales. Malgré leurs insuffisances, ces institutions ont constitué les principes centraux de la régulation internationale des soixante dernières années.
Les dérèglements climatiques constituent l’enjeu du siècle. Une grande volonté politique est nécessaire pour y faire face, notamment pour abandonner les énergies fossiles. Bien que les solutions technologiques soient en cela utiles, elles ne peuvent se substituer à une structure institutionnelle solide contribuant à redéfinir les règles du jeu économique, social et politique autour des émissions de gaz à effet de serre. D’un point de vue sociologique, l’Accord de Paris apparaît comme un jalon majeur dans la construction de ce projet.