Les villes en première ligne face à la crise climatique
Par Philippe Bélisle, délégation de l’AQLPA et Groupe Mobilisation à la COP26
L’encre n’est même pas sèche sur la troisième version de la déclaration de la COP26, que déjà, scientifiques, ONG et chiens de garde de l’environnement sont unanimes : cette Conférence des parties est ‘morte et enterrée’, et placerait la planète dans une trajectoire d’augmentation de la température de 2,7 degrés Celsius d’ici 2050. Selon le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, une telle trajectoire entraînerait en 2050 une hausse du niveau de la mer de 50 à 80 cm.
À ce niveau d’augmentation, les scénarios prévus par les experts sont catastrophiques, en particulier pour les zones urbaines, où vit plus de la moitié de la population mondiale, chiffre qui atteindra 70% en 2050.
Comme le montre le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat dans son dernier rapport, publié en août 2021, les villes des latitudes tempérées subiront des vagues de chaleur et des saisons froides plus courtes. Dans les latitudes subtropicales et tropicales, les saisons des pluies seront plus humides et des saisons sèches plus chaudes. La plupart des villes côtières seront menacées par l’élévation du niveau de la mer, menaçant les récoltes et le système d’approvisionnement alimentaire.
Partout dans le monde, les villes seront confrontées à une probabilité beaucoup plus élevée d’événements météorologiques extrêmes. Selon leur emplacement, il s’agira notamment de chutes de neige plus importantes, de sécheresses plus graves, de pénuries d’eau, de vagues de chaleur punitives, d’inondations plus importantes, de feux de forêt plus importants et de saisons de tempête plus longues.
Comme les mauvaises nouvelles ne viennent jamais seules, les coûts les plus lourds seront supportés les plus vulnérables: les personnes âgées, les pauvres et d’autres qui ne pourront se protéger.
Une étude de 2019 portant sur 520 villes du monde a projeté que même si les pays limitent le réchauffement à 2ºC (environ 3,6 ° F) au-dessus des conditions préindustrielles, les zones climatiques se déplaceront sur des centaines de kilomètres vers le nord d’ici 2050 dans le monde entier. Cela ferait en sorte que 77% des villes de l’étude connaîtraient un changement majeur dans leurs régimes climatiques tout au long de l’année.
Les auteurs prédisent par exemple que d’ici le milieu du siècle, le climat de Londres ressemblera à celui de Barcelone, et celui de Seattle à celui de la San Francisco actuelle. Bref, dans moins de 30 ans, trois grandes villes sur quatre dans le monde auront un climat complètement différent de celui pour lequel son infrastructure a été conçue.
Une étude similaire sur les impacts du changement climatique sur plus de 570 villes prédit qu’elles seront confrontées à un régime climatique entièrement nouveau d’ici 30 ans - un régime caractérisé par davantage de vagues de chaleur et de sécheresses, et un risque accru d’inondations.
Les villes produisent plus de 70% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, principalement en chauffant et en refroidissant les bâtiments et en alimentant les voitures, les camions et les autres véhicules.
À mesure que les villes se développent, la végétation est détruite, ce qui augmente le risque d’inondation et d’élévation du niveau de la mer. L’urbanisation crée également des surfaces imperméables qui n’absorbent pas l’eau, comme les routes et les bâtiments.
Les villes : une nouvelle force politique
En 2015, en marge de la COP21, des maires et représentants municipaux du monde entier s’étaient réunis à Paris pour s’engager en faveur du climat. Pour la première fois pendant une COP, les principales associations et réseaux mondiaux de villes avaient abordé tous les aspects de la lutte contre les changements climatiques en milieu urbain: adaptation, réduction des émissions et financement.
La COP21 avait reconnu l’importance des villes dans la lutte au changement climatique et depuis, cette idée a fait pas mal de chemin.
Même si les maires ne jouent aucun rôle formel à la COP26, plusieurs d’entre eux étaient présents à Glasgow. Des dirigeants de C40Cities, un réseau d’une centaine de grandes municipalités représentant plus de 10% de l’économie mondiale, avaient également fait le déplacement.
En entrevue avec l’AQLPA et Groupe Mobilisation, le directeur de la diplomatie internationale pour C40 Cities, l’ancien maire de Toronto David Miller, a fait état des avancées considérables de l’action climatique par ses membres.
L’organisation a présenté à Glasgow un plan de réduction de 50% des émissions de GES d’ici la fin de cette décennie, notamment par des programmes de construction propre, faible en carbone.
‘Les dirigeants des villes sont bien placés pour comprendre ce qui les attend dans 10 ou 20 ans si on ne fait rien pour faire face à la crise climatique. Et ce qui attend les zones urbaines n’est pas de la science-fiction. C40 Cities est composé de villes qui entendent utiliser tous les pouvoirs que leur confère la loi pour agir maintenant, et de façon décisive.’
Contrairement aux promesses des États non tenues, les villes livrent la marchandise.
Paris et Madrid ont commencé à interdire les véhicules à essence et au diesel des zones centrales, et Londres a élargi sa tarification de la congestion, conçue pour réduire la combustion de combustibles fossiles en décourageant la circulation automobile. La ville de New York a planté 1 million d’arbres, augmentant sa forêt urbaine de plus de 20%. En 2020, Vancouver est devenue la première grande ville à réglementer le carbone incorporé avec le code du bâtiment le plus écologique du continent américain.
Le budget 2021-22 de Phoenix, en Arizona, comprend près de 3 millions de dollars pour lutter contre le changement climatique, avec la création d’un bureau d’intervention et d’atténuation de la chaleur. Phoenix s’est engagée à doubler la plantation d’arbres d’ici 2030.
Tampa, en Floride, a récemment publié une feuille de route sur la résilience avec des mesures d’adaptation au changement climatique dont la promotion d'infrastructures prêtes pour le climat.
Alors que le nombre de villes du monde exposées à une chaleur extrême a presque doublé, Athènes, capitale de la Grèce, a récemment nommé son tout premier ‘directeur de la chaleur’ (Heat Director).
Seattle, la ville américaine qui connaît actuellement la plus forte croissance, est très active au sein de C40 Cities. Elle a présenté un plan pour arriver à réduire de moitié son empreinte carbone d’ici 2030. Les températures à Seattle, connues pour leur ciel nuageux et leurs pluies torrentielles, ont dépassé les 100 F (38 °C) pendant trois jours consécutifs en juin, alors qu’une masse d’air chaud se trouvait au-dessus de l’ouest des États-Unis et du Canada. Le 28 juin, la température a atteint 108 degrés F (42 °C), soit le niveau le plus élevé en 151 ans de tenue de registres détaillés. L’État de Washington a enregistré 138 décès liés à la chaleur cet été, contre sept l’année précédente.
Alors que les scientifiques hésitent à lier un seul événement météorologique au réchauffement climatique, les responsables de Seattle se préparent à l’élévation du niveau de la mer, aux marées plus élevées et aux vagues de chaleur plus fréquentes et plus durables.
Une ville verte dans un état pétrolier
La capitale du Texas, Austin, ville très progressiste dans un État très conservateur, et au surplus producteur de pétrole, a mis les bouchées doubles pour réussir à atteindre les cibles de réductions imposées par son membership à C40 Cities. Austin a présenté un plan très ambitieux de 0 émissions nettes de GES d’ici 2040 à sa population, qui l’a voté à 60%.
Nous avons rencontré le maire d’Austin, Steve Adler, pressé entre deux réunions à la COP26. ‘Dans les années 70, Austin était une ville de hippies, d’artistes, de créateurs et d’innovation. Encore aujourd’hui, on peut lire sur les T-shirts et les tasses de café : ‘Keep Austin weird’. Austin est une ville jeune, c’est là que l’Université du Texas a son principal campus. Les gens veulent venir s’installer à Austin parce qu’ils savent que c’est une ville qui bouge et qui est consciente des défis de la crise climatique’.
Le plan, qui prévoit éliminer totalement le gaz des immeubles de la ville d’ici 2040, a été farouchement combattu par le Texas Gaz Service, qui a contribué des centaines de milliers de dollars pour financer le comité d’experts et remplacer plusieurs de ses membres par des sympathisants. L’industrie américaine du gaz est en guerre contre toutes les villes qui souhaitent mettre fin à son utilisation.
Des élus républicains, appuyés par l’industrie du gaz, préparent une série de lois qui interdiraient aux municipalités de ‘déconnecter’ leurs clients. La bataille à Austin s’annonce ardue.
En revanche, l’adaptation à court terme évolue beaucoup plus lentement. Cela ne veut pas dire que rien ne se passe. Par exemple, Chicago est en train d’élaborer des politiques qui anticipent un climat plus chaud et plus humide. Il s’agit notamment de repaver les rues avec des matériaux perméables qui permettent à l’eau de filtrer à travers le sol sous-jacent, de planter des arbres pour absorber les polluants atmosphériques et le ruissellement des eaux pluviales, et d’offrir des incitatifs fiscaux pour installer des toits verts comme éléments de refroidissement sur les immeubles de bureaux. Des plans similaires vont de l’avant dans les villes du monde entier.
Mais remodeler les villes en temps opportun peut être extrêmement coûteux. En réponse aux défaillances de digues qui ont inondé la Nouvelle-Orléans lors de l’ouragan Katrina en 2005, le gouvernement américain a dépensé plus de 14 milliards de dollars pour construire un système amélioré de contrôle des inondations pour la ville, qui a été achevé en 2018. Mais de nombreuses autres villes à travers le monde sont confrontées à des menaces similaires, et peu d’entre elles – en particulier dans les pays en développement – peuvent se permettre un programme aussi ambitieux.
D’autant plus que le financement pour la mitigation et les pertes et préjudices, promis à Paris en 2015, n’est toujours pas au rendez-vous. Les villes, aussi déterminées soient-elles, devront donc trouver les moyens, politiques mais surtout financiers, de passer de la parole aux actes.