Lettre ouverte à Lucien Bouchard
L'auteur, Pierre Brazeau, est coordonnateur du Regroupement Interrégional des citoyens de la Vallée du St-Laurent-Ouest, citoyen de Mont-Saint-Hilaire.
Le 1re octobre 2011, Monsieur Lucien Bouchard, président de l’Association des pétrolières et gazières du Québec et conférencier au congrès de la Fédération des chambres de commerce du Québec, déclare « qu’un très grand nombre de membres de l'association m'ont autorisé à dire qu'ils verraient favorablement l'arrivée du gouvernement comme investisseur dans le développement des ressources naturelles et du gaz de schiste ». Il ajoute : « je pense que les Québécois considèrent très important que la collectivité reçoive la plus large part possible du développement de ces richesses. Et que le gouvernement devienne partenaire comme investisseur, ça lui donne une participation directe dans les profits»[1]. Québec devrait ainsi devenir partenaire dans l'investissement pour l'exploitation des ressources naturelles. Il propose donc un partenariat public-privé, c’est-à-dire participation aux profits mais aussi aux pertes.
N’est-ce pas Lucien Bouchard qui, en octobre 2005, se faisait porte-parole du manifeste des lucides ? N’affirmait-il pas de façon péremptoire que « la responsabilité exige que nous mettions tous l’épaule à la roue. Chaque individu, chaque groupe, chaque leader doit abandonner le premier réflexe qui est celui de tous, en particulier dans le Québec d’aujourd’hui : protéger ses intérêts et faire appel à l’intervention du gouvernement.[2]
Des actions et un prix du gaz à la baisse
Monsieur Bouchard, êtes-vous en train de vous renier ? Quelles sont les raisons cachées de votre proposition ? Depuis le 9 mars, le titre de Junex a chuté de 20% pour clôturer à 1$ l’action, tandis que celui de Questerre a dégringolé de 24,5% pour terminer à 1,20$ l’action, à la Bourse de Toronto. Gastem a subi le même sort. Rappelez-vous qu’en juillet 2008 le prix du gaz de schiste avait atteint les 14 $US. Le 11 mars 2010, les gaz de schiste arrivent sur un marché du gaz où les prix ont oscillé entre 4 $ et 6$US le million de BTU (British Thermal Unit) pour se stabiliser à 4,55$US. Il est même descendu à $3.50 le million de BTU. Le porte-parole pour Talisman au Québec, Stéphane Perrault, affirmait que « les coûts sont élevés compte tenu des prix courants (faiblesse des prix du gaz naturel et de schiste) et des rendements qu’on a sur certains puits».[3]
Des subventions gouvernementales généreuses
Monsieur Bouchard, nous avons de plus en plus la conviction que la menace voulant que les gazières pourraient exiger une forme de compensation en raison des délais que leur impose l’étude d’évaluation environnementale stratégique n’a pas eu les effets escomptés. Par conséquent, vous récidivez en demandant une autre aide du gouvernement, celui-là même qui vous donne des crédits et reports d’impôt, des amortissements de vos équipements, des cadeaux budgétaires, etc.[4]. En 2007, le coût assumé par le gouvernement du Québec du régime d’actions accréditives pour les particuliers s’établissait à 45$ millions et le coût du crédit d’impôt relatif aux ressources des compagnies s’établissait à 119$ millions.[5]
Des revenus qui se traduisent en pertes
L'État québécois a touché annuellement moins d'un million de dollars pour la totalité des permis émis pour la recherche de pétrole, de gaz naturel et de réservoirs souterrains, ce qui représente plus de 80 000 km2 de territoire. Québec aurait touché 887,123.75$ pour l'exercice 2010-2011 qui s’est terminé le 31 mars dernier. Pour 2009-2010, le montant perçu s'est élevé à 807,519.42 $, un chiffre similaire à celui de 2006-2007.[6] De ces montants, que resterait-il si on enlevait les coûts que devront défrayer l’ensemble des Québécois pour l’adaptation des équipements municipaux afin de traiter les eaux usées, la réfection des routes brisées par le va-et-vient des camions citernes, le coût des maladies causées par la volatilité des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique, et les impacts irréversibles causés au paysage et à l’environnement, etc. ? Selon une étude publiée en février 2011 par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), cette industrie engendrerait des pertes nettes de l’ordre de 50 M$ annuellement et de 1 milliard $ sur 20 ans en dépenses fiscales et d’infrastructures. Ce calcul ne tient pas compte des coûts que devront assumer, par l’entremise de l’État, les citoyens en cas d’impacts sur la santé des résident(es) vivant à proximité des puits, ni des importantes déductions fiscales incitatives accordées aux actionnaires des entreprises gazières. Les auteurs du rapport concluaient ainsi : «Contrairement à ce que prétendent les promoteurs de l’industrie du gaz de schiste, l’ensemble des coûts environnementaux, énergétiques et financiers actuels et futurs de cette industrie dépasseront largement les maigres bénéfices qu’en tirera la population du Québec ».[7] D’après vous, est-ce une proposition si alléchante que de faire du Québec un partenaire dans le développement de cette filière polluante et non renouvelable ? Poser la question s’est y répondre. Maintenant que le marché n’est pas comme vous l’espériez, vous proposez que Québec devienne actionnaire. Vous présentez votre proposition comme si c’était un privilège que vous nous accordez et vous espérez que l’envie collective de participer aux profits favorisera l’acceptabilité sociale.
Un projet non acceptable
Vous dites que les gens auront plus confiance si le gouvernement était investisseur car Investissement Québec détient tous les outils nécessaires pour concrétiser ce partenariat. Monsieur Bouchard, ignorez-vous que le dernier sondage Crop-l’Actualité [8] indiquait que 84 % des Québécois sont toujours d'avis qu'on ne peut pas faire confiance à l'industrie gazière et pétrolière pour prendre en compte l'intérêt collectif dans ses décisions ? De plus, oubliez-vous que 76% des Québécois ne veulent pas de l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire du Québec et que plus de 80% ne font plus confiance au gouvernement de Monsieur Charest ? Monsieur Bouchard, nous vous avons bien compris, vous êtes tout simplement en train d’organiser une opération de sauvetage pour le bien-être financier des compagnies. C’est fini l’époque du héros du verglas. Maintenant, nous savons à quelle enseigne vous logez. Même si vous utilisez des stratégies de complaisance pour faire passer l’acceptabilité sociale, pour nous ce n’est plus admissible. N’insistez plus car pour la majorité des citoyens, le gaz de schiste c’est non.
Les choix énergétiques du Québec
Les citoyens regardent de plus en plus les possibilités qu’offrent les autres énergies moins polluantes et renouvelables. Ils s’informent de plus en plus des expérimentations faites au Québec. Les citoyens informés désirent passer de l’énergie fossile qui appartient à l’autre siècle pour les énergies de l’hydroélectricité, de l’éolien public et non privé, de la bio-méthanisation des déchets organiques et du photovoltaïque qui seront les énergies du XXI ième siècle. Pouvez-vous imaginer un Québec, avec un développement réellement durable, si le gouvernement subventionnait le développement des énergies renouvelables comme il subventionne les compagnies que vous représentez ? Pouvez-vous imaginer l’avance technologique que pourrait prendre le Québec et ainsi devenir un créateur et un exportateur de ses inventions technologiques ? Pouvez-vous imaginer les investissements dans les régions, la création d’emplois permanents et les profits tirés qui resteraient chez nous ?
Monsieur Bouchard, nous ne nous attendons pas de votre part que vous mettiez de l’avant un débat social sur les choix énergétiques pour le Québec des années futures. Pourtant, c’est à ce débat que devrait être convié le peuple du Québec, car c’est de son avenir socio-économique et environnemental qu’il est question actuellement.
Pierre Brazeau coordonnateur du Regroupement Interrégional des citoyens de la Vallée du St-Laurent-Ouest, citoyen de Mont-Saint-Hilaire.
pierrebrazeau@gmail.com 3 octobre 2011.
[1] Le Devoir 1re octobre 2011
[2] Manifeste pour un Québec lucide, 2005 p2 et 6,
[3] Radio-Canada/nouvelles 11 mars 2011 et la révolution des gaz de schiste de Normand Mousseau
[4] Voir BAPE DQ12.1, 6212-09-001
[5] Voir BAPE DQ12.1, 6212-09-001
[6] Le Devoir, 27 avril 2011
[7] Le gaz de schiste : une filière écologique et profitable pour le Québec ? (par IRIS Fév. 2011)
[8] Radio-Canada Environnement 30 septembre 2011