L’évaluation environnementale stratégique sur le Gaz de schiste
Texte de Alain Brunel, publié le 20 mai 2014 dans Le Devoir.
Dans le Devoir du 16 mai, Amélie-Daoust-Boisvert relate les propos de scientifiques ayant participé l’Évaluation environnementale stratégique (ÉES) sur le gaz de schiste qui s’inquiètent que leurs recherches soient oubliées dans la décision finale du gouvernement concernant le sort de cette énergie fossile. Cette inquiétude est légitime quand on sait que le nouveau premier ministre libéral s’est déjà prononcé en faveur de l’exploitation du gaz de schiste avant même la sortie de l’ÉES, évaluation effectuée à la demande de l’ancien gouvernement libéral rappelons-le, c’est-à-dire avant même de connaître les tenants et aboutissants des recherches réalisées sur cette exploitation. Une attitude pas très scientifique.
Nous tenons à rassurer ici ces scientifiques. L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) veille au grain avec d’autres groupes comme le Collectif des scientifiques sur le gaz de schiste ou le Regroupement interrégional sur le gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. L’AQLPA a participé aux audiences du Bureau d’Audiences Publiques en Environnement (BAPE) et lui soumettra un mémoire.
Au cours de ces audiences, nous avons notamment attiré l’attention du BAPE sur une lacune de l’étude de l’ÉES relative aux émissions de gaz à effet de serre qui accompagneraient l’exploitation du gaz de schiste au Québec. Il faut savoir que deux facteurs principaux influent sur la contribution de l’industrie du gaz de schiste aux changements climatiques : le taux d’émissions fugitives (ou le taux de fuite) de l’industrie d’une part, et le potentiel de réchauffement planétaire (PRP) du méthane d’autre part. L’étude de Polytechnique sur les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie, reprise dans le rapport synthèse de l’ÉES, a estimé que l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste ferait augmenter les émissions de GES du Québec de 23% par an (alors que l’objectif est de les baisser de 20% d’ici 2020). Or cette évaluation est basée sur un taux d’émissions fugitives moyen de 3% relativement conservateur au regard des plus récentes recherches, mais aussi sur un potentiel de réchauffement du méthane devenu caduc.
Le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié l’automne dernier a en effet rehaussé le potentiel de réchauffement du méthane de 44% sur un horizon de 100 ans… si cette nouvelle donnée était prise en compte, toutes choses égales par ailleurs, le bilan des gaz à effet de serre du Québec pourrait donc augmenter de 33% par an en cas d’exploitation à grande échelle ! Tout indique que si l’on veut au Québec lutter sérieusement contre les causes des changements climatiques, il faudra oublier non pas les recherches sur le gaz de schiste mais bien le gaz de schiste lui-même…
Alain Brunel
Directeur climat-énergie, AQLPA