Manifeste pour sortir de la dépendance au pétrole
Le 19 octobre 2005, douze personnalités publiques signent le Manifeste pour un Québec lucide. Les auteurs, prétextant l’ampleur de la dette nationale et le déclin démographique, proposent entre autres des hausses de tarifs et une plus grande ouverture des services publics au privé. Le 8 janvier 2014, onze personnalités publiques signent le Manifeste pour tirer collectivement profit du pétrole. Les auteurs, prétextant l’ampleur de la dette et le déclin démographique, proposent l’exploration et l’exploitation des ressources pétrolières du Québec.
Parce que le développement économique n’est pas une fin en soi, mais bien un moyen pour construire de meilleures sociétés;
Parce que les conséquences des choix que nous faisons aujourd’hui décideront du sort de nos enfants et de nos petits-enfants;
Parce que nous voulons que les décisions concernant l’avenir de notre société soient dictées non pas par le fatalisme, mais par notre sens du devoir, par un effort responsable pour réduire notre dépendance vis-à-vis d’une ressource plus que problématique;
Nous réagissons.
Notre mode de vie a des impacts majeurs sur nos ressources naturelles et sur nos écosystèmes régionaux et planétaires. Nos choix économiques doivent prendre en considération l’incontestable réalité des changements climatiques et l’impact économique et social des limites de nos ressources. Le Québec ne peut s’enliser davantage dans la voie du pétrole. Notre responsabilité collective est de diminuer notre consommation d’énergie et de favoriser l’utilisation des solutions de remplacement aux énergies fossiles. Sur cette question, il y a réellement urgence.
Nous sommes de ceux et celles qui se questionnent et qui doutent. Nous sommes des citoyennes et des citoyens, des scientifiques, des travailleurs-euses, des intellectuels-les, des artistes, des enseignants-es, des gens qui habitent tout le territoire du Québec. Nous avons les pieds bien ancrés dans le présent et les yeux tournés vers un avenir que nous voulons heureux et prospère. Pour nous, l’économie est un moyen au service des gens et du bien commun. De toutes nos forces, de Percé à la Baie-James, de Coaticook à Blanc-Sablon, nous voulons un Québec où il fait mieux vivre. Et spécialement aujourd’hui, nous pensons au Golfe du Saint-Laurent, à Anticosti, à la Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. Déjà, nous sommes en action.
Nous souhaitons construire une société qui produit et consomme moins et mieux, et qui partage équitablement la richesse. Nous souhaitons sortir le Québec de sa dépendance au pétrole en réduisant notre consommation d’énergie et faire la promotion de l’utilisation des énergies vertes. Nous voulons créer des emplois durables par de vastes chantiers écologiques : rénover les bâtiments pour diminuer le gaspillage énergétique; planifier l’aménagement des villes et des banlieues autour du transport collectif et électrifier les transports collectifs et individuels. Nous ne voulons plus de villages quasi abandonnés ni de milieux naturels dégradés. Nous voulons favoriser l’agriculture à l’échelle humaine pour que le Québec puisse savoir ce qu’il y a dans son assiette. Nous voulons protéger les cours d’eau et les terres agricoles, diminuer la pollution et protéger la biodiversité nécessaire au bien-être de tous et toutes. Nous voulons ramener aux collectivités le droit prioritaire sur le sous-sol afin d’empêcher que la recherche de profits rapides charcute notre territoire et massacre nos paysages.
Nous croyons que le Québec n’est pas à vendre au plus offrant. Nos richesses naturelles appartiennent à la collectivité. Il faut en disposer avec le souci du bien commun. Nous souhaitons créer des conditions, des lois et des sociétés publiques pour que les richesses naturelles du Québec appartiennent enfin aux gens d’ici. Car nous travaillons à un Québec où il fait bon vivre partout, un Québec viable pour les générations présentes et futures.
La dépendance au pétrole n’est pas une fatalité
Ni la croissance, ni même le maintien de notre consommation de pétrole ne sont inévitables. Nous ne sommes pas tenus de continuer à avancer tête baissée vers un désastre certain. Au contraire, il est urgent de réduire cette consommation de façon importante.
Depuis 100 ans, le pétrole est au cœur du développement de nombreux secteurs industriels. Mais l’ère des énergies fossiles tire à sa fin. Ces énergies sont responsables de bouleversements climatiques et écologiques sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Elles ont donné lieu à de nombreuses catastrophes humaines et environnementales comme le déraillement de Lac-Mégantic en juillet 2013 et les déversements répétés de pipelines.
Le pétrole est responsable de 38 % de l’émission mondiale des gaz à effet de serre. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, devraient guider nos pas sur les actions à poser. Selon les tendances actuelles, les émissions de gaz à effet de serre entraîneront une augmentation des températures qui pourraient s’élever de plus de 4 oC d’ici la fin du siècle, produisant des phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus nombreux : tornades, ouragans, inondations et une augmentation du niveau des océans qui pourrait atteindre un mètre. Il est donc urgent que le Québec profite de ses avantages naturels pour utiliser des énergies plus propres dont il dispose en surplus. Il peut dès maintenant prendre les devants pour sortir de sa dépendance au pétrole. Même si la transition ne se fera pas sans difficulté, il est impératif d’agir rapidement.
Nous sommes d’accord : l’importation de pétrole coûte plusieurs milliards de trop à la population québécoise. Il est cependant irresponsable d’affirmer, car il n’y a aucune preuve ni garantie, que l’exploitation de pétrole en sol québécois réduira durablement et significativement ce déficit commercial. Le potentiel pétrolier du Québec est souvent surestimé. Les ressources en pétrole du Québec, même selon les estimations hypothétiques que font circuler les promoteurs de son exploitation, ne pourraient remplacer qu’une très faible partie de ce qui est actuellement importé.
La vraie solution pour mettre fin à cette saignée de notre économie serait de diminuer notre consommation. Déjà en 1996, le rapport « Pour un Québec efficace » produit par la Table de Consultation de débat public sur l’énergie, mise sur pied par le gouvernement et présidée par Alban d’Amour, flanqué de décideurs-euses publics, d’écologistes, de citoyens-nes et d’experts-es scientifiques, préconisait ce choix. Selon ce rapport, toutes nos politiques et tous nos investissements doivent favoriser une diminution et non faciliter la croissance de notre consommation d’énergie. Le déficit engendré par nos importations de pétrole, il faut l’attaquer un milliard à la fois : nous pouvons prendre dès maintenant les moyens pour devenir autosuffisant en remplaçant notre consommation de carburant fossile par des énergies de sources renouvelables dont regorge déjà le Québec.
Hydro-Québec engendre un énorme surplus de production qui durera pendant plus d’une décennie. Ce surplus coûtera au moins un milliard par année aux hommes et aux femmes d’ici, car son coût de production, engendré par des projets et contrats douteux et couteux, est supérieur au prix du marché. Il est irresponsable d’exploiter et de polluer davantage le sol québécois, alors que nous pourrions consacrer nos efforts et nos moyens à utiliser ces surplus de production, en électrifiant par exemple le transport des personnes et des marchandises à une beaucoup plus vaste échelle que ce qui se fait maintenant. Ces investissements dynamiseront l’économie du Québec et créeront plusieurs milliers d’emplois. N’avons-nous pas la responsabilité de léguer un Québec en meilleure posture financière aux générations futures?
L’exemple de la Norvège : ni souhaitable, ni possible.
La Norvège n’est pas un modèle environnemental en matière d’énergie. À l’exception de l’hydroélectricité, elle travaille peu au développement d’énergie de sources renouvelables. Et la compagnie pétrolière Statoil, plus grande entreprise du pays appartenant au 2/3 à l’État norvégien, a mauvaise réputation en matière de pratiques environnementales. Statoil est malheureusement synonyme d’un trop grand nombre de déversements, de non-respect de la règlementation en matière de protection de l’eau et d’implication dans les sables bitumineux. Pourquoi vouloir imiter un pays qui fait peu alors que nous pourrions nous-mêmes devenir l’exemple?
Par ailleurs, on évoque souvent les sommes colossales accumulées par la Norvège dans un Fonds souverain comme argument pour exploiter le pétrole. Qu’on soit pour ou contre l’exploitation du pétrole, accumuler un tel fonds au Québec est illusoire. On ne connait pas avec certitude le potentiel pétrolier du Québec, mais il semble modeste. De plus, les entreprises privées détiennent l’essentiel des droits d’exploitation et les redevances pétrolières ne rapporteraient jamais autant que les revenus de Statoil, détenu à 100 % par l’État norvégien jusqu’en 2001. Le coût environnemental exorbitant de ce mirage au Québec n’a cependant rien d’illusoire : les accidents locaux qui polluent l’environnement et menacent nos vies, tout comme les événements climatiques extrêmes, deviennent des catastrophes humaines et financières. Et nous ne voulons pas laisser aux générations futures une dette écologique impayable.
Le projet Anticosti ne tient pas la routeLe potentiel en hydrocarbures d’Anticosti fait l’objet d’une controverse. Les experts indépendants jugent que la quantité de pétrole et de gaz de schiste est grossièrement surévaluée par les promoteurs du projet. Shell a abandonné toute perspective de découverte de pétrole conventionnel. Les 40 milliards de barils en place avancés par les promoteurs seraient de schiste comme au Dakota, dont seulement 1,2 % peut-être récupérable par les puits. À 100 $/baril, l’exploitation totale du gisement ne récolterait que 50 milliards $ en valeur brute. Cela demanderait au minimum 12 000 puits d’extraction. Or, chaque puits a un cout unitaire de 10 millions $. Il faudrait donc dépenser 120 milliards $ pour extraire moins de 50 milliards $ de pétrole. Ce qui fait dire à plusieurs que ce projet ne tient pas la route! De plus, l’impact d’une mise en exploitation massive des hydrocarbures potentiels d’Anticosti aurait un impact majeur pour le fragile écosystème de l’île considérée comme un joyau du patrimoine naturel du Québec. |
Débat équilibré et vision collective
Les signataires du « Manifeste pour tirer collectivement profit du pétrole » réclament un débat équilibré sur des bases scientifiques et du même souffle ils accusent des groupes environnementaux de recourir à des stratégies de désinformation qui ne servent pas la société. Leur charge est présentée sans références permettant une réplique, dans un texte qui est lui-même presque totalement dépourvu de fondements scientifiques. Pour montrer notre bonne foi et pour décider ensemble sur des bases scientifiques et démocratiques, nous les invitons à réclamer comme nous une étude environnementale stratégique sur l’ensemble de la filière des hydrocarbures ainsi que des audiences publiques et des consultations. Trop souvent, plusieurs promoteurs de l’exploitation accrue des ressources minières et pétrolières s’opposent malheureusement à de tels BAPE qui permettent de décider en s’appuyant sur des données scientifiques et sur l’exercice de la démocratie.
Les signataires du manifeste en faveur du pétrole entendent agir « collectivement » et affirment s’inspirer de la Révolution tranquille. Mais les droits d’exploration et d’exploitation des projets qu’ils défendent, à l’exception d’une petite partie d’Anticosti, sont détenus par des entreprises privées. Il est admis dans nos sociétés que les entreprises privées soient davantage préoccupées par leur rentabilité trimestrielle que par les intérêts collectifs. Au cours des dernières décennies, les entreprises qui exploitent notre sous-sol ont réussi à minimiser leurs impôts et à ne payer environ que 4 % de redevances effectives. Il est donc illusoire de faire miroiter l’enrichissement collectif par l’exploitation du pétrole au Québec.
Nous sommes d’accord, inspirons-nous de la Révolution tranquille : comme pour l’hydro-électricité, approprions-nous nos ressources renouvelables ! Mais faisons mieux au XXIe siècle : réfléchissons au long terme et travaillons à une prospérité viable. Soyons « Maîtres chez nous ! » En choisissant de manière démocratique dans quel monde nous voulons vivre avant de décider de l’usage de nos ressources naturelles.
Nous réclamons :
— Une étude environnementale stratégique sur l’ensemble de la filière des hydrocarbures qui couvrirait tous les impacts sociaux, environnementaux et économiques liés à l’utilisation du pétrole et aux conséquences dans le fonctionnement de notre société ainsi que des audiences publiques en bonne et due forme sous forme de BAPE par projets afin de trancher sur le fond de cette question : voulons-nous collectivement faire du Québec un état pétrolier?
— Pour agir avec cohérence et responsabilité, avant toute adoption de cadres législatifs et règlementaires pour les activités d’exploration et d’exploitation pétrolière en milieu marin et terrestre, que le gouvernement du Québec :
- adopte une stratégie énergétique qui prévoit un plan d’action et des cibles de réduction de la consommation de pétrole. Une cible réaliste pourrait être la réduction de 30 % de la consommation de pétrole d’ici 2020 et de 60 % d’ici 2030.
- adopte le plus rapidement possible une politique de mobilité durable ambitieuse pour donner aux sociétés de transport en commun des moyens financiers suffisants et prévisibles pour améliorer l’offre de transport et maintenir leur accessibilité financière.
- adopte officiellement une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici 2020 par rapport à 1990 et adopte un Plan de lutte aux changements climatiques permettant d’atteindre cette cible.
— Le maintien du moratoire sur l’exploration pétrolière dans la portion québécoise du Golfe du Saint-Laurent, notamment pour la réalisation des objectifs de création d’aires marines protégées.
— L’adoption d’un moratoire permanent sur toute forme de fracturation hydraulique, et ce, sur l’ensemble du territoire.
— Que tout projet d’exploration et d’exploitation des ressources pétrolières affectant le territoire des communautés autochtones soit conditionnel à une entente préalable avec ces communautés, et ce, dans une perspective de respect des droits ancestraux autochtones et de relation de nation à nation.
SOURCES :
- Pour un Québec efficace. Débat public sur l’énergie, gouvernement du Québec, 1996.
- Pétrole: l’expérience norvégienne
- De la réduction des gaz à eff¬et de serre à l’indépendance énergétique du Québec. Commission sur les enjeux énergétiques, gouvernement du Québec, 2013, 83 p.
- Mead, Harvey. L’indice de progrès véritable du Québec. Quand l’économie dépasse l’écologie. Éditions Multimonde, Québec, 2011, 386 p.
- Pour un Québec libéré du pétrole en 2030. Équiterre, 2009.
- 5e Rapport du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat. Climate change 2013. The Physical Science Basis. (En anglais).
- Durand, Marc. Les hypothétiques gisements d’hydrocarbures non conventionnels au Québec. Mémoire déposé à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.
- Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2008-2009. Chapitre II, Interventions gouvernementales dans le secteur minier.
Les auteur-es du manifeste
- Kim Cornelissen, Consultante en développement régional et pays nordiques, Finaliste au Prix des femmes d’affaires du Québec 2012 et Lauréate du Prix 2008 de l’Institut de recherche en économie contemporaine
- Andres Fontecilla, Président et porte-parole de Québec solidaire et Coordonnateur du conseil communautaire Solidarités Villeray jusqu’en 2012
- Harvey L Mead, Auteur, L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie, 2011 (MultiMondes), Commissaire au développement durable, 2007-2008 et Président (Chair), Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie de 2002-2005
- Anne-Marie Saint-Cerny, Directrice de la Société pour Vaincre la Pollution et Vice-présidente et directrice de la Fondation Rivière de 2002 à 2010
Les signataires
- Yves-Marie Abraham, Ph.D, professeur agrégé à HEC Montréal
- Sylvain Archambault, Biologiste
- Marie-Andrée Auger, Mairesse de Saint-Edmond-de-Grantham
- André Bélisle, Président de l’Association Québécoise de Lutte contre la Pollution Atmosphérique, AQLPA
- Patrick Bonin, Responsable campagnes Climat-Énergie et Arctique, Greenpeace Canada
- Michel Camus, PhD, épidémiologiste, professeur associé à la Chaire d’évaluation de risques toxicologiques et au dép. de Santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal
- Félicien Cardin, Maire de Saint-Bonaventure
- Dominic Champagne
- Alexa Conradi, Présidente de la Fédération des femmes du Québec
- Pierre Curzi
- Richard Desjardins, Vice-président de l’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue
- Alain Deneault, Auteur d’essais, dont Paradis fiscaux : la filière canadienne, à paraître cette année chez Écosociété
- Renaud Gignac, Économiste
- Daniel Green, Co-président, Société pour Vaincre la Pollution
- Henri Jacob, Président de l’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue
- Tania Kontoyani
- Richard E. Langelier, LL.D., rédacteur du règlement de Gaspé de protection des sources d’eau potable
- Lisette Lapointe
- Hugo Latulippe
- François L’Italien, Professeur associé, Département de sociologie de l’Université Laval
- Karel Mayrand, Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki
- Vivianne Michel, Présidente de Femmes autochtones du Québec
- Melissa Mollen Dupuis et Widia Larivière, Co-fondatrices d’Idle No More Québec
- Gabriel Nadeau-Dubois
- Eric Pineault, Sociologie, UQAM
- Gaëtan Ruest, Maire d’Amqui
- Jacques Tétreault, Biologiste et coordonnateur général du Regroupement interrégional gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent, RIGSVSL
- Laure Waridel
Et des milliers de citoyennes et citoyens...
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