Les compteurs intelligents d’Hydro-Québec : pour une approche rationnelle et prudente
Texte pour une mise au point sur la position de l’AQLPA sur la question des compteurs intelligents … et aussi pour bien différencier notre position de celle véhiculée par une autre organisation distincte mais dont l’acronyme porte à confusion, la CQLPE (Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique).
Notez bien que les propos de la CQLPE lui sont propres et ne correspondent pas à la position de l’AQLPA.
PRÉAMBULE : L’intervention de l’AQLPA dans le sujet des compteurs intelligents s’inscrit dans le contexte plus large de la multiplication des sources d’émission d’ondes électromagnétiques. D’ailleurs, en octobre 2011, l’AQLPA avait déjà déposé un « Appel aux principes prévention et de précaution » dans le cadre de la consultation publique sur le règlement encadrant l’installation d’antennes de télécommunication à Montréal et dans lequel elle résumait ainsi ses recommandations : « L’AQLPA souhaite que les autorités scientifiques acquièrent davantage de connaissances sur les effets biologiques des rayonnements électromagnétiques avant de prendre des décisions précoces qui pourraient coûter très cher à la fois aux compagnies de télécommunications, à la Ville, à l’État québécois en frais de santé et à la qualité de vie des citoyens. » Consultez le document (PDF).
Les compteurs intelligents d’Hydro-Québec : pour une approche rationnelle et prudente
Par André Bélisle, Président, François Therrien, Administrateur, Brigitte Blais, communicatrice scientifique et Dominique Neuman, avocat,
Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)
Stratégies Énergétiques (S.É.)
Il est souhaitable que les décisions qui auront à être prises prochainement quant au projet de compteurs intelligents d’Hydro-Québec Distribution le soient de façon rationnelle, reposent sur l’état des connaissances scientifiques et s’inscrivent dans une perspective de développement durable.
Des avantages environnementaux à l’informatisation et la lecture à distance
En premier lieu, il est indéniable que la possibilité pour Hydro-Québec de lire à distance les compteurs de consommation électrique de ses clients constitue un avantage environnemental indéniable. Les milliers de déplacements, par véhicule, actuellement requis annuellement afin de lire chaque mois ou chaque deux mois les trois millions de compteurs du Québec représentent des émissions de gaz à effet de serre évaluées à 2018 tonnes de CO2 équivalent, ainsi qu’une importante source de pollution atmosphérique entre autres par des oxydes d’azote (NOx), du protoxyde d’azote N2O, du monoxyde de carbone (CO), des particules fines (PM 2,5) et des composés organiques volatils (COV).
De plus, l’informatisation des données de chaque compteurs fournira, tant à Hydro-Québec qu’aux clients, des outils permettant une meilleure efficacité énergétique. Ainsi,on pourrait envisager à l’avenir, qu’Hydro-Québec fournisse à ses clients, sur le site Internet déjà utilisé pour leur permettre de payer leurs comptes, des données plus détaillées sur leur propre consommation, avec possibilité de constituer des tableaux et statistiques. Chaque client pourrait ainsi mieux visualiser sa courbe de consommation et identifier les moyens qu’il pourrait volontairement mettre en œuvre pour réduire celle-ci et réduire ses coûts énergétiques. Il serait ainsi plus aisé pour chacun de visualiser l’importance de la consommation électrique résultant des appareils électroménagers (fer à repasser, sécheuse, etc.) et l’effet de quelques changements comportementaux, de la programmation électronique du chauffage, d’une meilleure isolation thermique et d’autres mesures. De plus, ces données plus fines de consommation permettraient à Hydro-Québec de mieux planifier sa demande et donc ses investissements et achats d’énergie, réduisant son risque de devoir acheter d’urgence et à court terme de l’électricité américaine de source plus polluante.
Les nouveaux compteurs permettront également le mesurage inversé pour les clients qui installeraient des sources autonomes de production électrique chez eux (mini-éoliennes, panneaux solaires, etc.), celles-ci pouvant alimenter à certaines conditions le réseau d’Hydro-Québec lorsque inutilisées par ces clients.
L’on doit noter par ailleurs que la tarification différenciée dans le temps n’est actuellement pas à l’ordre du jour, ne pouvant être décidée que par la Régie de l’énergie. Bien que ce mode de tarification soit susceptible en théorie, de favoriser des économies de ressources en déplaçant une partie de la consommation durant les heures hors-pointe, les projets pilotes déjà effectués au Québec n’ont pas fourni de résultats concluants et l’ampleur de la variation tarifaire entre les périodes reste une question problématique. Au secteur résidentiel, notre climat n’offre guère de marge pour déplacer dans le temps la principale consommation électrique que constitue le chauffage.
A la rigueur, il serait toutefois souhaitable d’envisager de fixer une tarification différenciée dans le temps afin d’inciter les usagers de véhicules électriques à ne recharger leurs batteries qu’en dehors de la période de pointe. L’on devrait aussi envisager de permettre aux clients qui le désirent de choisir, moyennant une bonne rémunération, d’alimenter le réseau durant les heures de grande pointe d’hiver au moyen de leurs voitures électriques, ce qui limiterait ici encore le besoin pour Hydro-Québec d’acheter de l’électricité plus polluante, de source thermique américaine, durant ces heures. Les futurs compteurs devraient être conçus de manière à permettre de telles options.
Un enjeu de risque sanitaire lié à la multitude des émissions par radiofréquence des compteurs
Étant donné que les nouveaux compteurs d’Hydro-Québec sont aptes à conserver en mémoire jusqu’à un mois de données de mesurage, l’on se serait donc attendu à ce que ceux-ci transmettent leur information qu’une fois par mois (ou à la rigueur deux fois par mois). Un tel rythme de transmission de données aurait été amplement suffisant, puisque les factures issues de ces données n’auront à être émises qu’une fois par mois ou aux deux mois.
Pour des raisons inconnues, Hydro-Québec avait toutefois annoncé en 2011 que ses compteurs transmettraient les données de chacun jusqu’à 6 fois par jour, ce qui apparaissait déjà fort élevé mais que nous étions prêts à accepter, sous la compréhension qu’il s’agirait là des seules émissions par radiofréquences de ces appareils.
Une expertise indépendante que nous avons fait réaliser nous a toutefois révélé que les compteurs projetés d’Hydro-Québec, déjà installés à titre de projet-pilote dans trois quartiers ou régions du Québec, émettaient en fait entre 1440 et 2880 fois par jour, soit environ une fois toutes les 30 à 60 secondes. Le nombre de fois que les informations propres à chaque client reste limité à 6 fois par jour. Nous n’avons pas encore reçu d’Hydro-Québec de véritable explication quant à l’utilité de ces multiples autres émissions journalières. Celles-ci nous surprennent d’autant plus que les entreprises d’électricité d’au moins un autre pays, la Suède, évitent ces émissions multiples[1] Les compteurs projetés d’Hydro-Québec semblent continuellement être en train d’émettre afin de manifester leur présence à la centrale de données, même s’ils n’émettent aucune information de mesurage. De plus, il semblerait, selon certaines déclarations, que l’horloge de chaque compteur soit continuellement remise à jour ; en Californie, des compteurs similaires resynchronisent leur horloge par radiofréquence avec la centrale toutes les cinq minutes sans utilité apparente. Les émissions de radiofréquence de chaque compteur sont par ailleurs multipliées du fait que chacun est susceptible de servir de relais à la réception et retransmision des données de tous les autres compteurs de son voisinage, jusqu’à ce que celles-ci soient reçues par un nombre limité de routeurs et collecteurs dans la municipalité.
Nous avons donc recommandé que le projet d’Hydro-Québec soit suspendu jusqu’à ce que celle-ci ramène à six par jour (ou moins) la périodicité de ses émissions de radiofréquence tel que celle-ci l’avait initialement annoncé et à l’image de ce qui semble être le cas en Suède.
Certes Hydro-Québec argumente que les radio-émissions de ses compteurs projetées sont substantiellement inférieures aux normes canadiennes actuelles qui ne tiennent compte que de leurs effets biologiques thermiques, à savoir le Code de sécurité 6 (2009) de Santé Canada.
Ce Code établit une moyenne maximale d’exposition thermique aux 0,1 secondes et aux 6 minutes mais, dans le cas d’ondes pulsées (intermittentes), ne fixe aucune limite quant au nombre de pulsations, c’est-à-dire quant au nombre de fois que l’émission de RF s’active, puis s’éteint. Le Code de sécurité 6 (2009), également ne fixe aucune limite maximale aux crêtes des émissions pulsées individuelles (sauf une limite extrême qui ne nous concerne pas ici), car ce qui est contrôlé par le Code concerne uniquement l’effet thermique cumulatif de chaque source de RF.
Pendant longtemps en effet, l’on croyait que l’exposition aux émissions de radiofréquences ne pouvait amener aucun effet biologique autre que thermique. Or voici que, sur le terrain (in vivo), différentes études ont commencé à mesurer de tels effets notamment chez les humains, ce que l’on croyait jusqu’alors impossible. La recherche dans ces domaines reste en cours. L’on constate en effet que toutes les personnes ne se montrent pas affectées de manière identique par des niveaux des radiofréquences égaux ; c’est ce que l’on nomme l’électrosensibilité variable entre les personnes. Les recherches scientifiques n’ont pas encore pu expliquer cette variation d’électrosensibilité, même si les études persistent à la constater. En d’autres termes, la recherche scientifique constate et mesure des effets biologiques non thermiques bien réels des émissions de RF mais ne parvient pas encore complètement à les expliquer. C’est là le processus normal de recherche scientifique.
D’autres variables restent aussi à identifier afin d’expliquer des variations de résultat d’une expérimentation à l’autre. Par exemple, une recherche récente a établi qu’au-delà de la densité totale ou moyenne d’exposition aux RF, le nombre d’émissions de radiofréquences (c’est-à-dire le nombre de fois qu’une source d’émissions s’allume et s’éteint, donc le nombre de fois que varie le champ électrique et magnétique auquel le sujet est exposé) avait un effet biologique mesurable. Il s’agit là d’un élément important puisque notre expert a mesuré que les compteurs intelligents d’Hydro-Québec émettaient entre 1440 et 2880 fois par jour (donc plus d’une fois à la minute) et non pas seulement six (6) fois par jour comme Hydro-Québec l’a prétendu pendant plus de six mois.
Même au Canada et dans d’autres pays qui ne reconnaissent que les effets thermiques des RF, ces recherches sur les effets non thermiques ne sont pas complètement ignorées.
Diverses autorités publiques qui acceptent les normes actuelles (fondées sur le seul effet thermique) comme étant suffisantes reconnaissent en effet que la poursuite des recherches sur les effets non thermiques demeure une nécessité. Ces autorités reconnaissent que, si ces recherches s’avéraient concluantes, celles-ci rendraient nécessaires une modification majeure de nos normes et contraindraient à la modification ou au remplacement des divers réseaux et appareils émetteurs de RF incluant les réseaux de cellulaires et de compteurs intelligents.
Ces recherches, depuis quelques années, ont déjà amené les autorités publiques et les manufacturiers à ajouter des conseils de prudence aux utilisateurs, même lorsque les appareils émetteurs de radiofréquences respectent les normes. C’est ainsi que même Santé Canada recommande de ne pas utiliser un téléphone cellulaire de façon prolongée et d’en limiter l’usage par les mineurs. Les fabricants recommandent aussi de ne pas le coller à l’oreille. Quant aux compteurs intelligents, différentes autorités publiques dans le monde ont recommandé de les tenir éloignés des endroits où les personnes se trouvent de façon prolongée (chambre à coucher, cuisine, salon, comptoir-caisse d’un commerce ou les sous-sols ou murs extérieurs immédiatement adjacents à ces lieux). La Federal Communications Commission (FCC) aux États-Unis exige même que de tels compteurs soient placés de manière à ce qu’aucune personne ne puisse s’y trouver à moins de 20 cm et d’éviter les compteurs groupés ; ces interdictions n’existent pas au Canada. Dans certains cas, un grand nombre de compteurs sont groupés à proximité l’un de l’autre, notamment dans les immeubles à logements multiples, ce qui multiplie l’exposition des personnes aux RF. Différentes autorités publiques dans le monde ont aussi recommandé d’éloigner les compteurs de lieux où se trouvent des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées ou des malades, ce que le Canada n’exige pas non plus.
La recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (27/05/2011) de maintenir un niveau maximal d’exposition de la population à 1000 μw/m2 (ou 0,1 μw/cm2), provient d’une recommandation du rapport international Bioinitiative (2007). Ce rapport fut précédemment reconnu par l’Agence européenne de l’environnement (17/09/2007) et ensuite par le Parlement européen (4/09/2008). Le rapport Bionitiative a été rédigé par 14 réputés chercheurs internationaux dans lequel on recensait près de 1500 études publiées et reconnues. En France, à la suite du Grenelle des ondes (2009) il a été convenu de tester la viabilité de cette nouvelle norme dans plusieurs villes (2010).
C’est dans cette optique de prudence rationnelle, reposant sur l’état des recherches scientifiques, que nous visons à convaincre Hydro-Québec ainsi que la Régie de l’énergie de réduire le niveau d’exposition aux radiofréquences auquel les citoyens seront susceptibles d’être exposés avec les nouveaux compteurs. Les mesures à considérer pourraient inclure, entre autres, la protection du périmètre de 20 cm autour de l’antenne émettrice, l’éloignement des compteurs des pièces où se trouvent des personnes de façon prolongée ainsi que leur éloignement des lieux où se trouvent des enfants, des femmes enceintes, des personnes âgées ou malades, la limitation ou l’éloignement des compteurs groupés, ou encore la recherche d’alternatives de transmission. La densité de puissance des émissions de radiofréquences des compteurs pourrait également être réduite, de même que le nombre d’émissions quotidiennes de RF. Il n’existe en effet aucune raison que les compteurs d’Hydro-Québec soient continuellement en activité alors que la mémoire de chaque appareil, tel que mentionné, permet de stocker les données complètes de consommation de chaque client pendant un mois.
Enfin, nous sommes préoccupés par la possibilité qu’Hydro-Québec active de nouvelles fonctionnalités (déjà présentes à l’état dormant sur les appareils installés), ce qui exposerait les citoyens à des émissions de fréquences additionnelles.
Nos recommandations visent donc à gérer rationnellement le risque pour la santé résultant d’émissions de radiofréquences intenses, fréquentes et à proximité du public et qui font actuellement l’objet de recherches et de recommandations de précaution de la part de diverses autorités et manufacturiers tout en évitant, à l’autre extrême, un discours alarmiste.
[1] http://webfiles.portal.chalmers.se/et/MSc/AndresenThereseMSc.pdf
Page 21, point 3.2 À la page 24 on parle de mesures prises une fois par mois.
Contact :
André Bélisle, président AQLPA
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