Les gaz de schiste et les énergies renouvelables: Un enjeu de développement au Québec
En 1995, lors du Débat public sur l’énergie, il s’était dégagé un consensus de la société québécoise à l’effet que l’énergie et l’économie devaient être découplées. C’est-à-dire correspondre à autre chose qu’une simple équation comptable poussée à outrance.
Dans le rapport de la commission, intitulé « pour un Québec efficace », on mentionne en introduction:
Globalement, le Débat public sur l’énergie a clairement fait apparaître le changement fondamental vécu par la collectivité québécoise dans le domaine de l’énergie.
Après avoir privilégié la sécurité des approvisionnements (…), puis l’utilisation de l’énergie comme outil de développement économique (…), le Québec doit aborder différemment ses nouvelles orientations énergétiques. »
Suite à ce débat public, on a vu alors naître la Régie de l’Énergie, l’Agence d’efficacité énergétique, l’intérêt pour la biomasse, le solaire, l’éolien et l’économie d’énergie, ainsi que la planification intégrée des ressources. Cette vision de l’énergie au Québec aurait pu permettre l’émergence de nombre de petits projets énergétiques dans l’ensemble des régions du Québec. Ceux-ci auraient pu être créés par des coopératives, des municipalités, des sociétés d’économie mixte, etc.
Malheureusement, 10 ans plus tard, la Stratégie énergétique du Québec de 2006-2015, elle, ressemblait de nouveau à un outil de développement économique, délaissant d’autant le consensus québécois qui voulait justement sortir de ce modèle.
En effet, les six orientations de la politique énergétique actuelle sont :
- Renforcer la sécurité de nos approvisionnements en énergie
- Utiliser davantage l’énergie comme levier de développement économique
- Accorder une plus grande place aux communautés locales et régionales et aux nations autochtones dans le développement énergétique
- Consommer plus efficacement l’énergie
- Devenir un leader du développement durable
- Déterminer un prix de l’électricité conforme à nos intérêts et à une bonne gestion de la ressource.
Rien sur les énergies renouvelables dans les grandes orientations. Que du développement économique basé sur une production toujours plus grande d’énergie, à commencer par l’électricité, dans une optique de contrats à de grandes entreprises, comme on l’a vu dans le cas de l’éolien, mais également dans le maintien du nucléaire, avec Gentilly 2. Le tout saupoudré d’initiatives dans les énergies renouvelables sans véritable plan d’action pour la mise en place de celles-ci – sauf peut-être l’éolien -. Et l’ajout du développement pétrolier et gazier, une dangereuse nouveauté. Il est à noter que le « gaz de schiste » n’est mentionné nulle part dans la stratégie énergétique et que le biogaz est à peine mentionné.
On peut se réjouir que l’orientation 5 de la Stratégie énergétique parle de développement durable. Mais il faut comprendre que le terme « développement durable » du gouvernement actuel s’entend beaucoup plus dans une perspective de développement vu comme croissance et de durable dans le sens de pérennité; autrement dit, le «business as usual », now and forever. Parce qu’en couplant l’économie et l’énergie, il devient difficile de considérer la protection de l’environnement comme une priorité, et les questions sociales tendent à devenir secondaires dans ce modèle économique.
De plus, il faut se placer dans un contexte où la Stratégie économique du Québec cette fois (et non énergétique) est :
Le secteur privé est le moteur du développement économique.
On comprend que le bonheur économique passe par l’entreprise privée. L’alternative au privé que sont les coopératives et les entreprises d’économie sociale n’est pas mentionnées. Ni dans la stratégie énergétique, ni dans la stratégie économique. Pourtant, comme on le sait, le Québec est connu pour son modèle coopératif et la force de son économie sociale.
J’ai fait une très longue maîtrise à l’UQÀM et mon sujet était la pertinence des partenariats public-privé en développement durable. Ce sujet m’a été inspiré directement par le gouvernement libéral, en mars 2004, qui avait déclaré deux choses qui me semblaient totalement contradictoires:
- Se doter d’une Loi en développement durable, ce dont peu de pays ou nations peuvent se vanter, selon les dires du Premier Ministre lui-même;
- Favoriser les partenariats publics-privés et, comme on le verra dans les années suivantes, être très dynamique à ce sujet, malgré les très mauvaises nouvelles de divers projets en PPP.
Comme il serait méchant d’accuser un gouvernement d’être incohérent avant d’avoir vérifié les faits, je me suis dit que ça valait la peine de s’attarder à cette question. J’ai décidé d’étudier un partenariat public-privé en Suède dans le domaine des énergies renouvelables, c’est-à-dire le développement du marché du biogaz comme biocarburant. Les partenaires publics étaient plusieurs municipalités, des organismes parapublics, la région de l’Ouest de la Suède et le bureau de développement économique de la ville de Göteborg, le groupe Volvo et Volvo Cars, un distributeur d’énergie de propriété publique-privée et la LRF, qui correspondrait au Québec à l’UPA.
Les résultats ont démontré que les partenariats publics-privés existent bel et bien en Suède, que ceux-ci peuvent inclure également des partenaires tant privés que publics, parapublics et autres… Mais les résultats ont également démontré que ce que nous appelons ici des partenariats public-privé n’en sont pas: nos PPP sont simplement des ententes commerciales qui n’ont de « partenariat » que le nom. Or, il existe un modèle de partenariat public-privé à l’exemple de la Suède, justement dans le développement du biogaz. Ce sont des sociétés d’économie mixte, les SEM, qui sont actuellement créées dans le but de mettre en valeur le potentiel énergétique naturel de nos matières résiduelles – les déchets organiques. On parle ici de déchets de table, d’eaux usées, de purins, de fumiers, de déchets de poissonnerie, etc. Tout ce qui est organique et non ligneux peut être valorisé en gaz naturel sans les inconvénients du gaz de schiste. Il y a présentement au Québec une dizaine de projets d’usines de biométhanisation qui sont annoncées, dont quelques unes sont sous forme de SÉM et d’autres de propriété entièrement publiques. Le financement de ces usines est de 650 millions $ dont les fonds proviennent à part égale du fédéral, du provincial et du municipal. Parmi les usines qui sont annoncées, celle de Saint-Hyacinthe fonctionne déjà. Il y en également une qui est prévue à Montréal-Est. A l’heure où la raffinerie Shell ferme, la Communauté métropolitaine de Montréal a décidé d’y implanter l’une des deux usines de biométhanisation. L’une ne remplace pas l’autre; toutefois, un projet de développement de centre d’expertise dans le traitement des déchets et leur valorisation est également prévu. On peut ainsi voir émerger une filière dans les solutions environnementales qui pourrait remplacer l’industrie pétrolière. Il y a bien sûr dans cette évolution des questions à résoudre, tant pour ce qui est de la perte des taxes foncières de Shell que la propriété publique de l’usine de biométhanisation. Mais il y a là une opportunité réelle de permettre à l’une des municipalités les plus polluées de la Communauté métropolitaine de Montréal de faire un virage environnemental majeur.
Et c’est dans ces projets que l’idée de développement durable prend tout son sens : qu’on parle de ce projet à Montréal-Est, de l’utilisation de la biomasse pour le chauffage de l’hôpital et de bâtiments communautaires d’Amqui en collaboration avec la coop forestière de Matapédia, des modifications aux pratiques environnementales des coopératives, du soutien au développement durable des entreprises par le CLD et la SADC de Sorel-Tracy dans le cadre de l’Agenda 21 local, ce sont autant d’exemples qui démontrent que nous sommes capables au Québec de se développer sans mettre en péril l’environnement et les communautés locales. Et que nous voulons le faire. La manifestation monstre du Jour de la Terre, tant à Montréal que partout au Québec, a bien démontré que nous désirons protéger nos terres, notre mer, notre monde et notre environnement.
Mais on a un gros problème. Le modèle économique alternatif n’est pas celui du gouvernement du Québec. Actuellement, on essaie de nous imposer le modèle pétrolier et gazier.
Actuellement, le gouvernement collabore pleinement et volontairement avec l’industrie – dont plusieurs présidents et représentants sont issus du gouvernement lui-même -, avec l’idée naïve d’un Eldorado qui ferait du Québec une seconde Alberta, un autre Texas, une autre Norvège. Il ne faut pas se leurrer : l’objectif est de s’assurer d’un maximum de rentabilité pour les actionnaires, et ce, sans aucune considération pour le reste de l’économie québécoise, l’environnement ou la société.
Parce que l’unique but des gazières est une spéculation effrénée. Et de faire de l’argent, beaucoup d’argent. Et pas seulement avec le gaz. Dans le magazine Rolling Stones, édition du 15 mars 2012, on apprend qu’aux États-Unis, le président multi-milliardaire de Chesapeake, Aubrey McClandon, fait plus d’argent dans les transactions de terres et claims liés aux forages de gaz de schiste que dans la production de gaz elle-même.
Et au Québec, pour nous faire accepter la pilule, le gouvernement utilise ad nauseam l’expression « développement durable ».
Comme dans le titre de la Commission du BAPE de 2010 qui se lit comme suit :
Le développement durable de l’industrie des gaz de schiste.
C’est un très bel exemple d’oxymore, c’est-à-dire, selon l’Office québécois de la langue française :
Une figure qui consiste à unir, dans un même syntagme, deux mots dont le sens est apparemment contradictoire.
L’industrie des gaz de schiste n’a rien de durable. Non seulement il menace les terres agricoles, les entreprises rurales, notre eau et nos espaces naturels, mais il nous précipiterait dans une vision pro-hydrocarbures qui va à l’encontre de nos pratiques et de la protection de l’environnement. Quand on a commencé à travailler le dossier des gaz de schiste, avec des gens de mon petit village de Saint-Marc-sur-Richelieu et à l’AQLPA (Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique), on s’est dit que peut-être, peut-être qu’il y avait des moyens d’exploiter le gaz naturel de schiste de façon non dommageable. Ça fait trois ans de ça. Et les mauvaises nouvelles s’ajoutent tous les jours, en provenance des États-Unis.
Au Québec, même s’il n’y a eu que 31 puits de gaz de schiste, les gens qui vivent à proximité ont témoigné éloquemment de leur détresse dans le documentaire 20 000 puits sous les terres, disponible gratuitement sur Youtube.
Pour nous convaincre que le gaz de schiste est une bonne idée, on nous offre des BAPE et des ÉES, les études environnementales stratégiques. Où l’on considère comme « opinions », les mémoires et présentations de celles et ceux qui questionnent le gaz de schiste. Où on écarte ces personnes des comités, comme dans le cas de l’ÉES, tout en permettant à des entreprises gazières d’y siéger. Où le mandat n’est jamais fondamentalement la pertinence de cette industrie ou encore l’analyse de l’alternative. Où l’on dépense 7 millions $ pour les analyses liées au gaz de shiste alors qu’on aurait dépensé uniquement 80 000 $ pour un comité sur les énergies renouvelables. 80 000 $ sur 7 millions $, c’est 1,1 %.
Où l’on nous dit également que l’on va respecter les 16 principes de la Loi sur le développement durable – loi à laquelle doivent se conformer les ministères et organismes du Québec – sans indiquer comment ces principes seront respectés. À l’AQLPA, l’analyse que l’on a faite démontre que l’industrie des gaz de schiste va à l’encontre de la totalité des 16 principes.
Et, au-delà des dommages pouvant être faits à nos terres, nos milieux ruraux, nos infrastructures, le virage vers les énergies fossiles a un impact profond sur les décisions politiques qui sont faites, une fois dopés au pétrole. Le plus bel exemple est celui de la Norvège. Si ce pays est reconnu pour ses mesures sociales et la protection de sa biodiversité, ce n’est pas un champion des énergies renouvelables, loin de là. Tout comme le Québec, il bénéficie d’une production quasi totale d’électricité à partir des barrages mais, contrairement par exemple à la Suède ou au Danemark, le développement des énergies renouvelables n’est pas marqué. Par ailleurs, Statoil, leur compagnie développant les hydrocarbures et propriété étatique à 64 %, est impliquée dans les sables bitumineux, le pétrole iranien et les gaz de schiste. Malgré les protestations de nombreux groupes environnementaux, de grands-parents, ainsi que monsieur, madame tout le monde en Norvège, le gouvernement refuse de se retirer des sables bitumineux.
C’est ce qui nous attend si nous passons en mode pétrole et gaz. Même avec des redevances plus élevées, le recul du passage aux énergies renouvelables sera inévitable.
Et je ne le souhaite à personne, surtout pas au Québec, parce que nous pouvons faire mieux. Et que les changements climatiques – que personne ne peut nier -, auront un impact majeur sur notre agriculture, sur nos forêts, sur nos infrastructures, nos maisons et nos gens.
Au Québec, tous les moyens sont bons pour nous convaincre que le gaz et le pétrole sont une manne, comme cet exemple presque amusant des Îles-de-la-Madeleine. L’une des gazières a raconté que l’extraction du gaz naturel serait réalisée uniquement pour les besoins des gens des îles, et mise en marché sous forme de coopérative locale. Rien de moins!
Pourtant, quand on consulte l’information de cette même gazière mais destinée cette fois-ci avec les investisseurs, le message est bien différent. On apprend que le bassin de la Madeleine - qui comprend entre autres l’archipel – est vu comme le prochain lieu important de forage. Coopérative, vraiment?
Inutile de dire que les gens des Îles n’ont pas apprécié particulièrement. D’autant qu’ils sont également envahis par les projets de forage pétroliers et gaziers dans le Golfe et tout autour d’eux. Littéralement.
Non seulement nous avons la responsabilité de ne pas céder à ce chant de sirènes des hydrocarbures mais le plus intéressant, c’est que l’alternative est moins risquée, porteuse d’emplois, moins invasive et meilleure pour la santé.
Le biogaz est du gaz naturel qui peut être dans les sites d’enfouissement, limitant ainsi les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre. On améliore ainsi la qualité de l’air. En détournant les déchets organiques, on réduit le besoin d’agrandir les sites d’enfouissement tout en produisant du biogaz dans des biodigesteurs de la taille de silos. En prime : du digestat c’est-à-dire du compost de très haute qualité. Qui peut revenir sur les terres agricoles, auxquelles on ne touche pas, comme dans le cas de l’éthanol par exemple. Investissements publics et profits publics de la vente d’énergie.
Le gaz de schiste, lui, c’est aussi du gaz naturel. Mais il est enfoui en petites bulles dans les couches sédimentaires très dures et situées à des profondeurs qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres. Pour l’extraire, de l’eau, beaucoup, beaucoup d’eau, des produits chimiques et bien d’autres surprises. Beaucoup, beaucoup de camions, mais aussi beaucoup d’argent en provenance d’entreprises souvent étrangères – Alberta, Texas, Australie, etc. – et qui veulent récupérer le profit. Très invasif, risqué et invasif. En conflit avec la réalité rurale.
C’est la même chose pour d’autres sources d’énergies renouvelables. Les équipements de biomasse peuvent faire toute la différence lors de verglas comme en Montérégie en 1998 ou aux Îles-de-la-Madeleine cet hiver. De façon générale, les panneaux solaires et la géothermie ne demandent pas d’utilisation de terres agricoles. L’efficacité énergétique ne se voit pas et n’a que des impacts positifs sur l’environnement. Même les parcs éoliens, quand ils sont conçus avec les populations locales peuvent être réalisés en toute acceptabilité sociale. Moins invasif, mieux intégré, plus sécuritaire…
L’idée n’est pas de dire que demain matin, on cesse d’utiliser du pétrole ou du gaz naturel. Mais de la même façon qu’on n’utilise pas le charbon, on peut au moins faire une véritable analyse de l’impact économique, écologique et social des énergies renouvelables, et de considérer les énergies fossiles en complément. Et non le contraire.
On est dûs pour une nouvelle politique énergétique, un nouveau débat public sur l’énergie, ne serait-ce que pour actualiser celle qui nous avions décidé ensemble et que nous n’avons pas pu mettre en place en 1995. Et tant qu’à faire, on pourrait revoir la stratégie énergétique, histoire de s’assurer que notre modèle économique est véritablement respectueux des principes de développement durable, et non qu’il se cache derrière ces deux mots pour faire du business as usual.
Conférence dans le cadre de l’Université d’été du GESQ, 26 avril 2012
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